ALLELE EL HADJ HABIBOU
Les hommages posthumes sont toujours un peu convenus, car la générosité vis
à vis d’un mort n’entraîne aucun coût et rarement des regrets ou des
remords. Beaucoup d’autres, sans doute plus autorisés que moi, ont salué la
mémoire du Ministre Allélé el hadj Habibou, certains ont préféré honorer
l’Ambassadeur, d’autres encore ont célébré le Maire, tous ou presque ont
témoigné du courage de l’homme politique, des talents du diplomate et de la
prudence du sage. Allélé a sans doute été tout cela. Dire du bien d’un
homme public défunt, en remontant à la période où il n’était pas un homme
public pour donner en exemple ses qualités peut paraître suspect, car on ne
s’y prendrait pas autrement, si l’on cherche à faire pardonner à celui-ci
des errements. II n’en est rien ici. Mais comment se taire lorsque les
qualités que l’on risque alors de passer sous silence sont devenues si
rares qu’il est presque douteux qu’elles n’aient jamais existé, en tout cas
sous les cieux où l’on dit les avoir rencontrées. Dans notre pays, où à ce
jour encore, moins d’une personne sur cinq sait lire et écrire, proportion
la plus faible du monde, saluer la mémoire d’un maître parti pour le
dernier voyage n’est pas toujours du seul ordre de l’obligation morale. En
effet, le devoir envers les vivants l’emporte sur celui envers les morts
(pour inverser la phrase magnifique d’ Alexandre Soljenitsyne, justifiant
la tache titanesque d’écrire l’archipel du Goulag). Les vivants ont besoin
de modèle, comme jamais auparavant, et le maître Allélé en fut un, parmi
ceux qui méritent d’inspirer. II est de ceux de nos enseignants qui ont
littéralement crée, presque ex-nihilo, l’école de l’indépendance. II ont
fabriqué, de toutes pièces, sans agitation ni ostentation, ceux qui sont
aujourd’hui les élites de la République, enfants d’anonymes, sortis du
néant, héritiers d’un monde crépusculaire. Par la lecture, l’écriture, le
champ, la morale et le calcul, ils nous ouvraient à tous, sans y êtres
motivés autrement que par le devoir, les portes de l’avenir, celles d’un
monde nouveau pour nous, fils de talaka, destinés normalement à nous
réincarner dans la condition millénaire de nos parents. A ce que l’on
aurait appelé ailleurs la communale de Gouré, des directeurs, des maîtres
et quelques maîtresses, des instituteurs sur pied, des simples instituteurs
adjoints, ceux qui ont quitté le cours normal avec leur 8/20ème, des
moniteurs, « camés »[1]
ou auxiliaires sont nombreux à s’être exercé à inculquer la grammaire ou le
système métrique aux enfants de la capitale du Mounio. Très peu, s’il en
eût, l’ont fait avec le génie, la justesse et le brio de Allélé el Hadj
Habibou, car il était lui, un authentique maestro, un virtuose de la
pédagogie. A ceux de nos camarades qui se prétendaient allergiques à la
géométrie, il faisait remarquer que dans parallélépipède, il y a « par
allélé », histoire de leur dire qu’avec lui, se fâcher avec les maths n’est
juste pas une option. II fallait s’y faire et donc s’y mettre. Est ce parce
qu’il a d’abord ouvert l’école de Kazoé, village d’origine de HKOUK[2]
,
signature célèbre qui a orné des centaines de certifs, on ne saura sans
doute jamais d’où Allélé tenait ce don singulier de faire aimer, à des
petits kanouri, manga et dagra, les fables de la fontaine, presque autant
qu’ils aimaient l’algaitha. Ce qu’il nous est difficile d’oublier, c’est
que notre maître en était un dans tous les sens du terme. II nous
instruisait, il nous éduquait aussi, il nous guidait bien évidemment et il
nous protégeait. Ce que nos parents n’étaient ni intéressés ni outillés à
faire, Allélé s’en chargeait. Quand arrive le moment des examens, le
directeur écrivait au tableau la lettre de demande pour solliciter de la
haute bienveillance du ministre notre inscription sur la liste des
candidats au concours d’entrée en sixième. C’était à une époque où il
fallait absolument être candidat pour concourir et concourir pour réussir.
Mais c’était la seule chose qu’il nous faisait solliciter, car il était sûr
de lui pour le reste. II savait qu’il en enverrait au moins un à Niamey, un
lycéen[3]
,
en classique bien sûr, des normaliennes en grand nombre à Zinder et des
collégiens encore plus nombreux et très fiers à Mainé Soroa. A nous de
Gouré, le seul tour qu’il nous a joué, c’est d’avoir attendu d’être muté à
l’école Garin Malan de Zinder, pour ne plus se satisfaire de placer ses
élèves en classique, mais d’en propulser un au premier rang du concours. Ce
n’était pas rien, car la compétition incluait alors les « petits blancs »
du cours La Fontaine, fils et filles de coopérants français, dont la langue
maternelle est aussi la langue du concours. Même mort, mouché comme on
disait, rougirait si je citais nommément tous les hauts cadres,
professionnels accomplis de l’administration, les intellectuels et
universitaires de renom et même quelques excellences d’aujourd’hui, qui lui
doivent tout ou presque. II se reconnaîtront, ils s’en souviendront et
c’est suffisant.
*RIP, Mouché!*
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[1]
Un
moniteur « camé » était, je crois, un enseignant du primaire, titulaire du
Certificat d’études primaires et du Certificat Aptitude au Monitorat (CAM).
II ne s’agissait pas d’ancien normalien, mais quelques uns préparaient et
réussissaient, en candidats libres, le Brevet élémentaire (BE), et
devenaient instituteurs adjoints.
[2]
Sobriquet de M. Harou Kouka, longtemps Ministre de l’éducation nationale du
gouvernement du président Hamani Diori.
[3]
A
cette époque, à l’issue du concours national d’entrée en classe de sixième,
les élèves reçus étaient admis, par ordre de mérite, au Lycée National de
Niamey, aux cours normaux de Zinder et de Tahoua et dans les quelques CEG
dont disposait le pays. Les meilleurs normaliens rentraient ensuite à
l’école normale de Zinder pour y préparer le bac, les meilleurs collégiens
pouvant rejoindre le Lycée National, par concours évidemment, après la
classe de 3ème, pour y préparer le bac.