Dans moins de deux semaines, les nigériens sont appelés aux urnes, pour des élections législatives et présidentielles. II n’y a eu ni réforme tardive de la constitution pour autoriser un troisième mandat, comme en Côte d’Ivoire et en Guinée, ni un schéma de succession dynastique comme au Togo, et moins encore une continuité sans terme comme en Afrique Centrale. On peut donc penser que les nigériens ont de très bonnes raisons d’être fiers de leur démocratie et de débattre sereinement de leur avenir. Ce n’est pas exactement ce qui se passe, surtout sur les réseaux sociaux, et voilà pourquoi.
Deux querelles pourtant définitivement tranchées par la justice, sont entretenues par quelques politiciens comme pour entacher la légitimité des résultats que vont livrer les urnes :
La première est la disqualification de Hama Amadou, un candidat présidentiable, ancien premier ministre, dont la candidature a été rejetée en raison d’une condamnation inscrite dans son casier judiciaire. Mais comment aurait pu faire la cour constitutionnelle, juge des élections, pour le qualifier sans violer ouvertement le Code électoral ? Si le droit n’est pas une science exacte, il repose néanmoins sur un minimum de cohérence, faute de quoi, il se discrédite et se délite. Un ami juriste m’a expliqué que la solution pour permettre à Hama Amadou d’être candidat aurait été le pardon, possible chez nous seulement par le vote d’une loi d’amnistie. II ne semble pas que cette voie ait été explorée.
Certains candidats voudraient remettre en cause la qualification de Mohamed Bazoum, plusieurs fois ministre, donc lui aussi présidentiable. Cette fois-ci, la querelle qui a une apparence juridique n’en est pas une, puisque ceux qui l’alimentent ne veulent pas d’une solution judiciaire, récusant par avance tout ce que décident les juges. Quelques personnes auraient découvert non pas que le candidat Bazoum ne serait pas nigérien, mais qu’il ne le serait pas d’origine. Malgré les dénégations de ceux qui souhaitent écarter Mohamed Bazoum, il y a dans cette affaire, un appel au plus bas des instincts, souvent sollicités en Afrique, celui du tribalisme. En effet, l’assertion selon laquelle Mohamed Bazoum ne serait pas « nigérien d’origine » repose non pas sur une preuve, mais sur un mythe, celui du “nigérien pur”, que seraient certains, eux qui constitueraient en quelque sorte l’ADN du pays. Tout se passe ensuite comme si les autres, tous les autres, sont des « nigériens impurs », ou douteux. Leur statut de nigérien dépend non pas de la loi et d’elle seule, mais de ce que tolèrent les « nigériens purs ». Ici, l’impureté a un indice, celui de l’appartenance ethnique du concerné. II appartient à une minorité visible, comme on dirait au Québec, car il est arabe, de peau blanche. L’attaque contre l’éligibilité de Mohamed Bazoum, jugée plusieurs fois sans fondement par la cour constitutionnelle, n’est donc pas juridiquement crédible. Et l’indice lui-même ne résiste pas à un examen rigoureux. En effet, le Niger- une création coloniale somme toute récente - est ainsi peuplé que l’on peut être, sans l’ombre d’un doute, ethniquement arabe, comme l’est Mohamed Bazoum, et être nigérien d’origine, comme certains sont gourmantchés sans être burkinabés d’origine, quelques autres kanouri sans être citoyens de l’Etat du Bornou d’origine (donc nigérians), être songhaï sans être maliens d’origine ou encore être Tchanga, sans être citoyens de l’Etat de Kebbi d’origine (toujours au Nigeria), tout du moins si l’origine renvoie à la présence d’ascendants sur le territoire avant le découpage qui fixa les frontières du pays. Mais ce mythe est un véritable marronnier qui réapparaît lors des élections présidentielles. II a été déjà utilisé contre Tandja Mamadou (qui serait Mauritanien) ou Mamane Ousmane (qui serait d’origine Tchadienne) et il est donc brandi cette fois-ci encore, non pas pour prospérer, mais pour faire diversion. Ce qui est nouveau, c’est la fausse judiciarisation de la question, car on va chez le juge, en refusant par avance tout verdict contraire à ses intérêts.
Dans une démocratie, lorsque l’on ne se satisfait pas du droit tel qu’il est dit par les cours et tribunaux, c’est-à-dire lorsque l’on considère qu’une question est de nature plus politique que juridique, il n’y a aucune sortie par le haut, autrement que par les urnes. II faudra donc laisser les électeurs trancher. Les anciens magistrats et anciens chef d’Etat peuvent, comme les journalistes, les docteurs en droit, professeurs de droit ou avocats, commenter la loi, la discuter et la critiquer, contribuant ainsi au débat public, mais ce sont les juges qui disent le droit. Refuser les arrêts des juges, c’est donc récuser la loi elle-même, me semble-t-il. On peut penser que la loi n’est pas toujours juste, ce qui est vrai parfois, mais cela ne dispense personne de se soumettre à l’autorité de la loi. On peut évidemment en appeler au législateur pour la changer. La question devient alors politique, et c’est le peuple souverain qui doit et peut arbitrer par les élections.
Pour revenir à Mohamed Bazoum, un jeune compatriote, basé lui à Washington DC, (il n’est pas juriste, mais loin d’être inculte, puisqu’ il a un PhD en économie d’une Ivy League), me disait, la semaine dernière, après une réunion Zoom à laquelle nous avions participé tous les deux, que pour lui, il y a dans les accusations portées contre ce candidat, au moins trois bonnes raisons, pour tout électeur patriote et rationnel de voter pour lui.
« Premièrement, si comme le disent ceux qui s’acharnent contre son éligibilité, il serait né libyen mais aurait déserté la Libye pour préférer le Niger, il mériterait une statue pour son amour du Niger. Dans ces années-là, et encore aujourd’hui, ce sont plutôt les Nigériens qui se ruent vers la Libye et non l’inverse. Renoncer à la Libye pétrolière des années 1970 et 1980 pour s’installer au Niger, plus particulièrement à Tesker, ne peut s’expliquer que par un amour exceptionnel pour notre pays, preuve d’un patriotisme lui aussi exceptionnel ». C’est vrai, mais c’est un raisonnement d’économiste, car les politiciens préfèrent laisser croire un mensonge, qui sert leurs intérêts, que de se rendre à une évidence qu’ils perçoivent comme favorable à leur adversaire, lui dis-je pour entendre la suite.
« Ensuite ajoute-il, voici un candidat, entré en politique active depuis au moins 1991, plusieurs fois ministre, aux affaires depuis 2011 à des postes ministériels importants, et ses adversaires les plus acharnés n’ont rien d’autre à lui reprocher que ses papiers d’identité ; le moins que l’on puisse en déduire c’est que l’homme est d’une probité remarquable. Dans un pays qui, du dire même de ses concurrents, serait gangréné par la corruption, rien que pour cela, il mériterait le suffrage de tout électeur rationnel, soucieux du bien public. Et puis, chez nous, en 2006 encore, il n’y avait que 32% des enfants de moins cinq ans qui sont enregistrés à l’état civil. Avec comme critère la qualité des papiers d’identité, on pourrait donc disqualifier les 2/3 des électeurs eux-mêmes ». En effet, si on réfléchit un peu…
« Enfin, conclut-il, tous ceux qui font confiance à la justice de notre pays et applaudissent lorsqu’elle libère un manifestant embastillé ou un journaliste poursuivi à tort devraient, en toute logique, tirer les conséquences des arrêts de la cour constitutionnelle, et reléguer au rang de rumeurs malveillantes les accusations contre l’éligibilité de tout candidat retenu par la cour ». J’acquiesce par « en effet la cohérence n’est clairement pas la chose la plus partagée dans notre classe politique » et je prends congé. Au lieu que la campagne porte sur l’évaluation du bilan des sortants et des programmes de chacun des candidats, pour informer le choix des électeurs, elle est utilisée à entretenir une agitation qui rappelle une séquence basée sur un mythe identitaire, l’ivoirité, créé il y a plus de deux décennies, dans un pays alors prospère de notre région. On connaît la suite. La Côte d’Ivoire ne s’est toujours pas relevée tout à fait. On peut et on doit éviter cela à notre pays, moins nanti et confronté déjà à de redoutables défis, dont certains sont existentiels.