Les notions de fragilité et de résilience des états, notamment lorsqu’elles sont appliquées à des pays africains, paraissent si évidentes qu’elles sont devenues pour les analystes du développement international, des sortes de « mana »[1] <#_ftn1>, que chacun utilise en laissant au lecteur le soin de choisir le sens qui lui convient entre les nombreuses acceptions possibles.
L’accélération récente au Mali de la lente incrustation des « djihadistes » islamistes au Sahel et surtout la riposte française, à la recherche de leurs otages[2] <#_ftn2>, ont créé une occasion en or pour souligner la fragilité des états subsahariens d’un coté et flatter « la résilience » des pays africains de l’autre. Le Président de la Banque Mondiale[3] <#_ftn3>, opposant la soudaine « fragilisation » du Mali aux vingt ans de stabilité et d’élections démocratiques qui auraient suivi la fin de la dictatures militaire des années 1980, décline les cinq principes d’action qu’il faudrait y appliquer et que la Banque Mondiale est désormais résolue à suivre. La Banque aurait donc changé aussi, se convertissant à la construction d’états forts et non plus d’états réduits au minimum dans les pays africains.
La notion de résilience est intéressante, mais le concept, comme beaucoup d'autres du genre, "voyage mal". Importé de la biologie vers la psychologie, essentiellement par Boris Cyrulnik (neurologiste et psychiatre), il part de l'idée simple que dans la nature toutes les plaies finissent par cicatriser, mais bien sur jamais pour TOUS les individus d'une espèce. Cyrulnik décrit la cicatrisation des blessures psychologiques, y compris celles de l'enfance (et tant pis pour Freud, Lacan et autres psychanalystes...). Mais voila, non seulement Cyrulnik lui même admet qu'il vaut évidemment mieux n'avoir pas eu certaines blessures que d'en guérir par résilience, mais il reconnait des degrés dans la résilience. Bien évidemment lorsque l'on généralise à un état donc à un pays tout entier, ce qui est peut être vrai, ou plus exactement un outil analytique intéressant, dans l'évolution d'un organisme ou d'un individu, on rencontre directement et les problèmes propres à toute généralisation (et notamment aux généralisations hâtives) et les problèmes de la "mutation" (des sciences dures vers les sciences molles...pensez aux déboires des physiocrates en économie ou même entre sciences expérimentales, pensez aux difficultés de la médecine de tirer tout le parti de certaines connaissances biologiques...). C’est ce qui semble se passer lorsque l'on importe le concept de résilience vers des disciplines incertaines (je n'ose pas écrire science) comme le "développement international" ou "la construction de la paix" et l'affaire devient presque l'auberge espagnole. II reste vrai, qu’il faut penser à aller chercher dans les tréfonds des sociétés fragiles elles mêmes ceux des facteurs qui leur ont permis de "survivre" jusque là, pour s’en servir comme leviers afin de sortir de la fragilité et prospérer, avec ou sans résilience. Car, Il ne faudrait pas oublier que la "fragilité" de la plupart des pays africains n'est pas une blessure ni une catastrophe soudaine mais le résultat, de circonstances historiques, de choix erronés et parfois de dynamiques sociales qui se poursuivent et ne sont de ce fait pas vraiment susceptibles de résilience.
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[1] <#_ftnref1> Dont la fonction selon , Claude Levy Strauss “est de s’opposer à l’absence de signification sans comporter par soi-même aucune signification particulière ».
[2] <#_ftnref2> Et peut être aussi d’un péril extérieur mobilisateur face à la crise économique interne et l’inexorable montée du chômage qu’elle entraine.
[3] <#_ftnref3> Jim Yong Kim, le Huffington Post, 25Mars 2013.