Une personne qui m’est proche et chère vient de bénéficier d’une greffe d’organe. Elle attendait cela, et nous avec elle, depuis dix ans. II était inscrit sur une liste d’attente et devait patienter. II a évidemment fallu aussi vivre en attendant et, dans le cas particulier qui nous concerne, vivre presque comme si de rien n’était, sans renoncer à aucun des combats de la vie. Mais il y a plus et mieux car notre « malade » à nous, quoiqu’astreint à des séances de soins plusieurs heures par semaine, a tenu cette décennie , en continuant à travailler, sans se délester d’aucune de ses responsabilités familiales, ni même se débarrasser de ces obligations stériles et obsolètes de « solidarité » envers la famille élargie, dont les membres, ceux « du village » comme on dit, bénéficiaires de transfert monétaires, parfois sur plusieurs générations, n’ont bien évidemment ni la décence de renoncer à solliciter leur « rente », compte tenu des circonstances, ni la générosité de faire le moindre geste de réciprocité en « offrant » un organe. La chose était pourtant possible, sans danger aucun pour le donneur potentiel, licite en droit et dans toutes les religions. Mais l’intéressé est trop digne pour réclamer quoique ce soit en retour de ses largesses mais aussi trop bon pour ajuster à la baisse ses libéralités. En plus de la leçon de dignité que nous donne cette personne, il y a une leçon pour le développement de nos pays. D’où cette entrée de votre blog.
Cette opération a été possible parce qu’il existe, dans le pays où elle s’est déroulée, une politique publique qui la rend disponible et accessible. Au départ il y a bien entendu le savoir scientifique et les capacités techniques du corps médical, résultat des recherches dont l’essentiel se fait dans des services publics hospitalo-universitaires. La chose n’est par définition pas simple dans un pays sous-développé, mais rien n’interdit de nourrir une telle ambition. Il faut ensuite encadrer au plan légal et surtout organiser au plan opérationnel la mise en œuvre de telles politiques, indispensables et irremplaçables. Cela requiert la facilitation du prélèvement et l’incitation au don, en respectant la douleur des familles lorsqu’il s’agit de prélever des organes sur une personne décédée sans s’être déclarée donneuse, en s’assurant que l’on ne contrevient à aucune règle morale ni à aucun interdit religieux pour le donneur. Viennent alors les étapes d’établissement de la liste d’attente et de la définition des critères d’inscription, puis de la réglementation de la circulation sur la liste par des règles de droit qui traitent de façon équitable et non pas identique, mais sans privilège injustifiable ni passe droits onéreux, tous ceux qui attendent une greffe. II est nécessaire enfin de créer, de maintenir et de financer la logistique indispensable, qu’il s’agisse des avions pour transporter l’organe du lieu du prélèvement vers le lieu de l’opération, de la disponibilité du plateau technique requis pour une transplantation, et organiser le personnel paramédical formé et disponible pour cela etc… et plus encore…et tout cela, *en n’ayant à l’esprit que l’intérêt commun, donc un bien public*. Ce que la « solidarité africaine », que l’on aime quelquefois à décrire comme spontanée et naturelle, n’a pas pu faire, un système public bien organisé l’a réalisé.
On m’objectera qu’il s’agit d’un problème de ressources et ce n’est pas faux. Mais qui ne voit pas qu’il y a aussi, et peut être surtout, un problème d’allocation de ressources, problème d’autant plus aigu que dans les pays en développement celles-ci sont rares. C’est pourquoi il est essentiel de définir et de mettre en œuvre des politiques publiques, qui reflètent des choix clairs, en traduisant dans les faits les arbitrages fondamentaux nécessaires comme par exemple en matière de population, celui entre la quantité (en laissant perdurer une démographie explosive) et la qualité (en maitrisant le nombre pour consacrer plus de ressources à nos hôpitaux par exemple).
Mais voilà, cela aussi « prend » du leadership et une élite qui débat et propose au choix du peuple souverain, des politiques publiques effectives et non des programmes génériques, version locale des objectifs globaux comme « lutter contre la pauvreté » ou « promouvoir la bonne gouvernance ». C’est donc une responsabilité collective de tous ceux qui, au sein de la génération actuellement aux affaires, ont une capacité d’y contribuer, et non pas des seuls responsables politiques, de nourrir un tel débat, en suggérant des politiques publiques concrètes. L’une d’entre elles et non des moindres est, nous semble-t-il, l’urgence *d’une politique médicale de pointe et donc de promotion, au cœur des services publics de santé, de centre hospitalo-universitaires*, opérationnels et viables, que l’accent légitime, mis par les bailleurs de fonds, sur les objectifs de santé publique ont quelque peu éclipsés ces vingt dernières années.