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Le Niger est-il un état fragile?

Posted on 2014/07/17

C'est la question que me pose ma fille qui vient de regarder une émmission à la télévision consacrée au Sahel où l'on parle de jihadisme, d'insécurité, de famine et d'autres choses tout aussi terrifiantes...en ajoutant, papa je veux une réponse, pas un cours. Alors en sept points, pour faire bref, voici la réponse.....

1. Le Niger qui n’a pas sur son sol de forces d’interposition des Nations Unies ou de l’Union Africaine et qui réalise un CPI[1] <#_ftn1> harmonisé de 3,86 en 2012, en hausse continue depuis 2009, n’est pas techniquement pas un état fragile au sens des institiutions financières internationales et régionales (Banque Mondiale et Banque Africaine de Développement). Mais il est confronté, comme les autres pays sahéliens, à la conjugaison de facteurs environnementaux et démographiques d’une part et à l’extrême faiblesse des capacités de l’état de l’autre, dans un contexte sécuritaire régional caractérisé depuis les événements du Mali et de Libye par une présence active et permanente d’AQMI et d’autres groupes armés au Sahara. Sans être un état fragile, le Niger est clairement un pays fragilisé.

2. Les cinq éléments structurels les plus pertinents pour l’analyse des risques de fragilité du Niger sont : *i) Sa géographie difficile.* Le Niger 6ème pays le plus vaste du continent est aussi l’un des plus désertiques dans ses parties Nord et Est. Trois quarts du territoire sont constitués par le désert du Sahara, les régions d’Agades et de Diffa, couvrant ensemble plus de 80% de la superficie du pays n’étant habité chacun que par 3% de la population du pays. La faible densité de la population dans les zones désertiques rend extrêmement coûteux une présence suffisante de l’état et une couverture des services sociaux de base. Si le contrôle territorial est un défi dans le Nord du pays, celui de la frontière est un véritable casse-tête. Le pays, qui a 5700 Km de frontières terrestres, a en effet des frontières désertiques avec quatre de ces voisins (Mali mais surtout Algérie, Libye et Tchad). Zones sous-administrées à la périphérie du pays légal, les territoires du Nord-Niger sont devenus, progressivement le siège de trafics divers, avant de servir de sanctuaires aux Touareg, à chaque fois qu’ils entrent en rébellion, puis de couloirs de passage aux djihadistes venus de Libye pour s’attaquer au Mali. *ii) La pauvreté*. Selon l’Institut National de la Statistique (INS) en 2011, 48.20% des nigériens, soit environ 8 millions de personnes vivaient au-dessous du seuil de pauvreté. II s’agit en plus d’une pauvreté assez profonde puisqu’en moyenne, les pauvres ont un revenu inférieur de 24 000 FCFA au seuil de pauvreté, soit une profondeur de 13.1%. Combler ce gap pour tous les pauvres nécessiterait des ressources d’un montant équivalent à 13% du PIB, ce qui est conséquent. *iii) La question Touareg*. A Niamey, deux discours différents -l’un récusant l’existence même d’une question Touareg au Niger, car l’Air ne serait ni une région exclusivement ou majoritaorement Touareg, ni la plus déshéritée du pays, l’autre déniant aux rebellions Touareg tout caractère ethnique car les différents chefs rebelles n’auraient aucune légitimité coutumière pour parler au nom des Touareg - se complètent pour soutenir qu’il n’y a pas, pour le Niger, de péril pouvant résulter comme au Mali d’une conjonction entre des groupes djihadistes et des rebelles Touareg. Dans le même temps le gouvernement du Niger poursuit une politique d’inclusion active des Touareg, avec la nomination d‘un premier ministre Touareg et l’installation de la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix (HACP) au cœur du dispositif institutionnel et sécuritaire du pays, en y nommant avec rang de ministre un officier supérieur de l’armée lui aussi, Touareg. Pour autant, nul ne croit qu’il s’agit là d’une solution définitive à la question Touareg. *iv) Le processus démocratique*. Comme la plupart des pays ouest africains, le Niger profitant de la fin de la guerre froide s’est embarqué dans un processus tumultueux de démocratisation de ses institutions politiques. Vingt ans plus tard la classe politique, qui reconnaît et accepte le verdict des urnes lorsque celui-ci est juste et équitable, a beaucoup de mal à faire autre chose que de l’obstruction lorsqu’elle se retrouve dans l’opposition et à essayer de s’incruster au pouvoir, par tous les moyens, lorsqu’elle y accède. L’élite politique semble en particulier incapable d’élaborer des consensus allant au délà de coalitions électorales elles mêmes très versatiles. Quant à l’armée, surprise et un peu humiliée par la Conférence Nationale Souveraine, (CNS) elle a vite réalisé les failles de la nouvelle donne politique. Les militaires prirent alors conscience de leur force et se donnèrent le rôle d’arbitre de dernier recours en cas d’impasse politique. Dès lors, malgré le caractère sans doute irréversible de la démocratisation de l’espace politique, il serait excessivement optimiste de considérer que le pays a atteint une maturité démocratique suffisante pour être à l’abri d’une déstabilisation interne *v) Les performances économiques* du Niger ont été plus que satisfaisantes ces quatre dernières années. Les perspectives pour 2014 et 2015 font état d’une reprise de la croissance économique (un taux de croissance supérieur à 6%), soumise toutefois aux risques liés au blocage dans les négociations avec Areva, la persistance de poches d’insécurité le long des frontières Sud et Nord du pays et l’exposition aux chocs climatiques.

3. Dans le contexte national actuel du Niger, le péril le plus grand est la déstabilisation de l’état de droit et donc aussi de la légitimité du pouvoir politique. C’est sous cet aspect qu’il faut d’abord examiner la situation du pays. Sur ce plan l’appréciation par les principaux évaluateurs de fragilité des états de la situation qui prévaut dans le pays est loin d’être convergente. Ainsi, le rapport Bertelsmann Transformation Index-State Weakness Index (BTI) 2014, écrit que « l’état-nation est largement accepté comme légitime » au Niger car les élections, présidentielles et législatives ont été « libres et transparentes », dans un contexte de très forte participation politique (9/10) et d’une liberté d’expression exemplaire, évaluée elle aussi à 9/10. Pour le CIFP (Country Indicator for Foreign Policy), qui considère le Niger comme faisant partie des états effectivement fragiles, la légitimité de l’état y est plutôt faible (5.69/9). Quant à l’IAG (Index of African Governance), son score global pour le pays affiche une baisse en 2012 à 50,4 situant le pays juste après le Mali dans le classement africain de la qualité de la gouvernance. Les indicateurs relatifs à la « sécurité et l’état de droit » et à la «participation politique et droits humains », dont la combinaison est un proxy de la légitimité de l’état, sont respectivement de 54,3 et 57,4, plaçant le Niger au 28ème et 16ème rang du continent et au-dessus de la moyenne continentale. C’est encore le rapport l’International Crisis Group qui résume le mieux la situation en qualifiant le pays comme étant « un fragile îlot de stabilité » .

4. Si l’appréciation de la légitimité de l’état au Niger fait apparaître des nuances, toutes les analyses convergent pour souligner la faiblesse de l’autorité de l’état. Le CIFP attribue au pays le score de 5.69/9 pour l’autorité de l’état, ce qui est très faible et place le pays dans la même catégorie que le Mali, le Tchad et le Nigeria. Le BTI souligne que le monopole de l’état sur le recours à la force est limité avec un score de 6/10, notamment en raison de l’échec de la démilitarisation de la question Touareg et de la circulation des armes légères, qui s’est accentuée depuis la crise libyenne. L’IAG évalue la sécurité nationale du pays à 75/100, soit trois points en dessous de la moyenne continentale. L’analyse des causes et des raisons de la faible autorité de l’état fait apparaître trois facteurs distincts mais synergiques, qui se complètent pour éroder, chaque jour un peu plus, l’état de droit au Niger. *i) Les trafics illicites*. Selon la CEN-SAD, on estime à plus de 300 millions de $ US, le montant des sommes provenant des rançons payées pour la libération d’otages et à plus de 500 millions, les sommes que procurent aux différents intermédiaires le trafic de la cocaïne dont le volume se situerait, dans la zone, entre 80 et 125 tonnes par an. Ce capital financier permet aux différents groupes terroristes de « créer un réseau de collaborateurs, une logistique, des sous-traitants, un réseau de communication par satellite, un réseau de renseignement sur les activités militaires des différentes armées nationales »des pays de la région*. ii) La corruption.* La séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice qui se manifestent au sommet de la pyramide juridictionnelle sont loin de refléter ce qui se passe dans l’ensemble du système judiciaire du pays. Le pays reste perçu, selon les données de Transparency International, comme l’un des moins performants dans la lutte contre la corruption, avec un score de 34/100, en hausse d’un point par rapport à 2012. *iii) L’impunité*. Le pays souffre d’une véritable « culture de l’impunité » qui fait que de nombreux crimes et délits, - des violations graves des droits humains aux malversations dans la gestion des finances publiques-, échappent souvent à toute forme de sanction.

5. Le Niger qui fréquente assidûment les dernières positions du classement de l’IDH du PNUD (186/187 en 2013) est l’un des pays les pays pauvres du monde. La faiblesse de sa base de ressources donc est la première limite aux capacités de l’état. Et pourtant le pays ne reçoit selon les statistiques de la BAD que 39, 3$ par tête, ce qui est extrêmement faible. Le Niger est en effet un de ces pays « orphelins de l’aide » qui reçoivent une assistance inférieure à leurs besoins et même à leur performance. Le Niger n’atteindra probablement pas les OMD, sauf peut-être dans le secteur de l’éducation (OMD2) et pour la réduction de la mortalité infantile (OMD4). Mais il reste qu’il y a aussi des facteurs internes spécifiques au pays qui contraignent la capacité de l’état à fournir aux populations les services. *i) Un système fiscal déficient*. Le Niger a une pression fiscale faible, de l’ordre de 15%, la plus faible de l’UEMOA : les recettes fiscales se sont situées à 15,3% du PIB en 2013 contre 14,5% du PIB en 2012, en-dessous toutefois du minimum de 17% retenu dans les critères de convergence dans l’UEMOA. *ii) Une fiscalité minière décevante*. Quelle que soit la complexité technique et les données économiques qui constituent les termes de la négociation en cours sur le renouvellement de accords sur le bénéfice du code des investissements qui s’applique au secteur uranifère, il est clair pour les nigériens que « l’or jaune » ne contribue pas, à la hauteur attendue, au budget de l’état et donc au renforcement des capacités de ce dernier. *iii) Des coûts de sécurité insoutenables*. Les masses budgétaires en jeux seraient si importantes qu’il a été nécessaire de procéder à une deuxième révision du budget, ce qui renvoit la question de leur justification et de leur soutenabilité au gouvernement, mais également à ses partenaires techniques et financiers.

6. Plusieurs autres facteurs contribuent indirectement mais significativement à fragiliser l’état au Niger. *i) La population* estimée à 16,9 millions d’habitants en 2013, croît au taux de 3,9% en moyenne annuelle –l’un des plus rapide du monde-, en raison d’une fécondité de près de 8 enfants par femme – l’une des plus élevée du monde-selon les chiffres du recensement de la population de 2012. *ii) Le chômage des jeunes*. Les moins de 25 ans représentent 68,6% de la population du pays (69,2% en milieu rural). Les jeunes, c’est à dire la classe d’âge de 15-24 ans selon la définition des Nations Unies, comptent eux pour 11,3% de la population totale et jusqu’à 22% de la population rurale. La création d’emplois, en particulier pour les jeunes, est l’un des objectifs affichés du gouvernement du Niger qui se propose de créer 50.000 emplois par an sur la période 2011-2015. Mais la stratégie qui consiste à recruter dans des emplois publics précaires, comme volontaires ou contractuels, des jeunes diplômés que l’on affecte à l’éducation ou dans les services de santé est contrainte par la limite que constitue la masse salariale de l’état. II y aurait en fait une « inadéquation entre formation et emplois » qui crée un double rationnement sur le marché du travail, la pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs coexistant avec un chômage massif de jeunes diplômés sortant du système éducatif, la majorité de ceux-ci étant inemployable dans le secteur privé. *iii) La question foncière.* Le Niger s’est engagé dans l’élaboration d’un code rural en 1990. La situation actuelle qui en a résulté ressemble à un véritable capharnaüm juridique, fait de l’empilement des règles traditionnelles et des propositions du code rural, de la multiplication des procédures, des conflits d’autorité entre intervenants aboutissant à une situation extrêment complexe avec quasiment autant de régimes fonciers que de villages dans le pays. *iv) L’insécurité alimentaire*. Le Niger fait face à une situation d’insécurité alimentaire chronique dans plusieurs zones du pays. Or l’insécurité alimentaire est un redoutable accélérateur de fragilité, qui peut entraîner ou aggraver des conflits communautaires, provoquer des déplacements de personnes et accroître les inégalités horizontales déstabilisatrices au sein des communautés. *v) Le processus de décentralisation*, dont l’origine remonte en réalité aux années 1970 est réactivé. Mais la décentralisation reste inachevée, le transfert des compétences et surtout celui des ressources est encore à opérationnaliser, un système de péréquation est à mettre en place sous peine d’amplifier les disparités et de provoquer des frustrations toujours dangereuses pour l’unité du pays. *vi) L’administration publique*. Sa structure ressemble à une sorte de pyramide inversée, qui renvoie à l’image d’une armée comportant plus de généraux que de troupes. En fait, le fonctionnement des services est largement tributaire de nombreux supplétifs. D’où la faible capacité d’absorption de l’aide au développement, dans un pays où les besoins sont nombreux et évidents. *vii) Les facteurs globaux de fragilité,* ceux d’origine externe comme les groupes armés dans les pays voisins et ceux d’origine interne comme la pauvreté sont si liés qu’il n’y a aucune stratégie de développement qui puisse être viable sans intégrer la réduction de la fragilité de l’état au Niger.

7. En résumé, au Niger la légitimité politique de l’état et des institutions est menacée de l’intérieur par la radicalisation religieuse, dans les régions par des risques de rébellion qui ne sont pas conjurés et aux frontières par la contagion de situations qui prévalent dans des pays voisins. L’autorité de l’état n’est suffisante ni pour assurer la sécurité des personnes sur tout le territoire, le pays comportant de véritables zones de non-droits, ni pour faire prévaloir l’état de droit et assurer les services essentiels aux populations, faute d’une administration efficace. La justice demeure inaccessible au plus grand nombre et incertaine pour les autres, le système judiciaire étant dysfonctionnel et l’impunité une quasi-culture. Les fondements économiques de la société sont minés par la pauvreté massive et profonde et une économie qui, même lorsqu’elle est en forte croissance, ne crée pas d’emplois autres que saisonniers ou publics, en particulier pour les jeunes. Enfin, le pays réalise une faible mobilisation de ressources fiscales et fait partie de ces orphelins de l’aide au développement qui reçoivent une assistance extérieure nettement inférieure à leurs besoins, d’où une capacité très faible de prestation de services aux populations. Dans ces conditions, force est de reconnaître avec les principaux partenaires au développement du pays que dans le contexte actuel, la sécurité et le développement sont deux objectifs strictement interdépendants. Aucune stratégie ne sera efficace qui sacrifierait le second pour assurer la première.

Je ne sais pas quand est ce qu'elle a décroché, mais elle est passée à autre chose ma fille, quand je conclus. La génération 3.0 est rapide (sharp disent-ils), y compris quand elle est sahélienne!

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[1] <#_ftnref1> Country Policy and Institutional Assessment : Indice synthétique de l’évaluation par les experts de ces institutions de la gouvernance des pays en notant sur une echelle de 1 à 6, les performances des domaines comme la politique monetaire, la gestion macroéconomique, les reformes structurelles, les ploitiques d’inclusion etc. Un pays est classé fragile lorsque son CPIA est inférieure à 3,20.