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A quoi peut bien servir l’IDH pour le NIGER?

Posted on 2014/08/14

Initialement conçu par approcher le bien être des Nations par un indicateur moins réductionniste que PIB par tête, le classement selon l’Indice de Développement Humain (IDH) publié chaque année par le PNUD suscite dans les pays en développement des débats très intéressants et parfois d’autant plus intéressants qu’inespérés. C’est exactement ce qui s’est passé au Niger cette année où, pour la première fois, au lieu des querelles byzantines sur les chiffres alimentant le déni stérile d’une réalité implacable, le Rapport du PNUD a conduit le pays à reconnaître officiellement et publiquement la croissance démographique, littéralement explosive, comme l’un des obstacles majeurs au développement du pays. Le Ministre du plan lors du lancement local du rapport, puis le président de la république lui même lors du discours de la fête nationale du 3 Août, ont désigné très explicitement la croissance de la population comme une entrave aux efforts de développement du pays. Avec un taux de croissance démographique de 3,9%, le pays enregistre chaque année 600.000 naissances, alors même que la satisfaction des besoins essentiels de la population reste un défi comme l’atteste la récurrence des épisodes d’insécurité alimentaire et nutritionnelle. II faut donc saluer la lucidité du gouvernement sur ce sujet et espérer qu’elle sera partagée bientôt par toutes les forces vives du pays et surtout par la classe politique. Et puisque le débat est ouvert, essayons d’y contribuer, modestement et à notre manière. Trois questions nous paraissent essentielles lorsque l’on aborde la relation entre démographie et développement humain durable au Niger: La première et sans doute la plus importante est évidemment celle de savoir si la maîtrise de la croissance de la population est une option légitime dans la stratégie de développement d’un pays musulman ? Vient ensuite l’interrogation sur les conditions de viabilité d’une politique de contrôle des naissances dans le contexte national actuel du pays. Et enfin, quels résultats peut-on escompter de la mise oeuvre d’une telle politique et à quelle échéance ? Considérons successivement les trois aspects[1] <#_ftn1>.

I. Un pays musulman qui se donne comme ambition d’accélérer sa transition démographique fait-il fausse route, comme l’insinuent ceux qui sont opposés à tout contrôle des naissances ? Lorsque l’on regarde ce qui se passe factuellement dans le monde musulman, on est fondé à en douter et donc à ne pas se laisser intimider par les exégèses alambiquées de certains oulémas locaux. Ainsi, alors que le Niger (17,138 millions d’habitants) croît aux taux effrayant de 3,9%/an, avec un Indice Synthétique de Fécondité (ISF) de 7,6 enfants par femme, le plus élevé du monde, le royaume d’Arabie Saoudite (29,994 millions) a lui une croissance démographique de 2,33% et la femme saoudienne a en moyenne 2,21 enfants en fin de vie féconde! On retrouve des chiffres similaires dans tout le Machrek, à forte majorité musulmane, avec pour la Syrie (21,987 millions) un taux de croissance de 2,45% et un ISF de 2,77, la Jordanie (6,616 millions) avec un taux de croissance de 2,36% et un ISF de 3,32 et le Liban (4,966 millions) avec un taux de croissance de 0,71% et un ISF de 1,75. Les données pour le Maghreb, plus proche de nous, racontent la même histoire, celle d’une démographie sous contrôle en terre d’islam, avec un ISF allant de 2,78 en Algérie, seul pays Magrébin au dessus de la moyenne mondiale à 2,01 en Tunisie et des taux de croissance démographique de 1,53% en Algérie à 1,01% en Tunisie. On pourrait objecter qu’il s’agit là de pays arabes ou arabo-berbères, comme pour disqualifier toute comparaison, certains de nos activistes de la société civile suspectant les pays arabes d’une modernité excessive, proche de l’hérésie. La république islamique d’Iran (77,645 millions) dirigée, depuis la révolution de 1979, par un guide suprême, nécessairement ayatollah, est un autre exemple très édifiant de maîtrise de la population. « L’Iran a connu l’une des transitions démographiques les plus rapides de l’histoire. En l’espace de quinze ans, la fécondité a baissé de 70 %, passant de 6,4 enfants en moyenne par femme en 19866 , à 2,5 en 1999 puis à 1,9 enfant en 2011-20127 . Avec ce recul spectaculaire de la fécondité et le déclin régulier de la mortalité chez les adultes, le taux d’accroissement annuel a également baissé de manière impressionnante. De 3,1 % par an entre 1976 et 1986, il est passé à 1,9 % entre 1986 et 1996 puis à 1,3 % entre 2006 et 2011 »[2] <#_ftn2>. La réplique probable sera que les iraniens sont certes des musulmans et ne sont pas arabes, mais ils sont chiites. Quid alors de l’Indonésie (252,164 millions dont 84% de musulmans), plus grand pays musulman du monde par le nombre de fidèles dont la population croît au taux modeste de 1,15% soit juste en dessous de la moyenne mondiale de 1,16% et dont les femmes se satisfont de 2,20 enfants pour une moyenne mondiale de 2,45 ! On nous opposera que l’Indonésie est un pays constitué de milliers d’îles, et n’est pas comparable au Niger qui lui est un pays sahélien sans accès à la mer. Et la Turquie (76,667 millions) alors dont la population augmente au taux de 1,21% et les femmes n’ont que 2,10 enfants en moyenne ? La Turquie est certes un pays musulman, mais c’est un état laïc et un pays industrialisé, dont le territoire est à cheval entre l’Asie et l’Europe, il ne peut pas servir de repère à un état non confessionnel et un pays moins avancé (PMA) comme le notre. Prenons en Afrique de l’Ouest le Sénégal (12,873 million), qui est un pays sahélien et un PMA mais qui a une croissance démographique de 2,61% et un ISF de 4,61. On pourrait au moins essayer de faire comme eux. Les sénégalais sont nos frères, mais eux aussi sont différents de nous, la colonisation y a duré bien plus longtemps que chez nous, ce ne sont pas le mêmes réalités. II faut se rendre à l’évidence et admettre avec Ibn Sina que *« Notre malheur est que nous vivons avec des gens qui pensent que Dieu n’a guidé qu’eux ». *

Les faits sont sans équivoque, un pays musulman peut maîtriser sa démographie et le rester. Le contrôle des naissances est une option stratégique légitime pour le Niger. L’utiliser ou non relève donc d’un choix politique, non d’un devoir religieux. Pour autant est-il opportun pour le pays de s’embarquer dans une politique de contrôle des naissances? Si le but est bien la réduction de la pauvreté, il faut s’attaquer à tous les obstacles qui se dressent sur le chemin qui nous y conduit. L’explosion démographique en est un et non des moindres, il est donc pertinent d’y remédier le plus efficacement possiblement.

Un procès en malthusianisme sera sans doute instruit par certains intellectuels et quelques autres invoqueront les thèses de Boserup pour soutenir des alternatives natalistes. La maîtrise de le croissance de la population comme levier de lutte contre la pauvreté serait malthusienne si elle était discriminatoire dans ses cibles ou inéquitable dans ses méthodes. Or l’on dispose aujourd’hui de l’expérience et des outils pour éviter ces écueils à commencer par le débat public et le contrôle démocratique. Quant aux effets positifs de la densification de la population rurale sur la technologie et la productivité agricole, il est facile de convenir avec Buserop qu’ils sont possibles et même avérés mais seulement là où les contraintes écologiques ne s’y opposent pas chaque jour davantage[3] <#_ftn3>, comme c’est le cas au Sahel. Au Niger, iI n’y a rigoureusement aucun scenario de développement durable compatible avec une croissance de la population au taux actuel de près 4%, ni de transition démographique sans une action vigoureuse de l’état.

II. Pour avoir quelques chances de succès, dans un contexte où la préférence pour les familles de grande taille est très élevée, la fécondité précoce est encore très forte et où la croissance démographique résiste à la baisse de la mortalité des enfants[4] <#_ftn4>, la politique de maîtrise de la population doit avoir un objectif clair et clairement énoncé en *visant résolument à limiter les naissances et pas seulement à les espace*r. Une telle approche n’est possible que si elle est érigée en une cause ou projet d’intérêt national vital, comme la défense de l’intégrité du territoire national par exemple et bénéficier d’un consensus politique national fort et constant. C’est une excellente opportunité pour les partis politiques de montrer qu’ils sont capables de s’élever au dessus des querelles partisanes pour former des consensus lorsque l’avenir du pays l’exige.

Nous n’avons en effet pas un état suffisamment fort pour qu’un gouvernement applique par la seule coercition une telle politique comme l’a fait la Chine pour sa politique de l’enfant unique. Mais il est évident aussi qu’il ne suffira pas de répéter, même en les amplifiant les campagnes dites de sensibilisation à l’impact incertain. Notre démocratie est trop récente pour mettre une politique publique à l’abri des alternances au pouvoir comme le fait la fédération Indienne pour sa politique de population. II est essentiel d’assurer que certains partis politiques ne se désolidarisent pas de la cause ou pire encore n’essaient de l’instrumentaliser pour arriver au pouvoir. Nous pouvons compter sur les expériences –y compris les erreurs- de nombreux autres pays et le soutien de nos partenaires au développement. Nul ne peut contester aujourd’hui que l’Inde et la Chine n’auraient probablement pas pu construire les économies géantes et prospères qui sont les leurs si elles n’avaient pas dompté leur démographie. Toutes les incitations, en particulier économiques et fiscales pour des comportements de reproduction plus responsables devront être envisagées, débattues et évaluées sans tabou.

III. Que pouvons nous attendre d’une politique de population efficace ou en d’autres termes quelles dividendes démographiques peut-on espérer dans un pays comme le Niger et quand?

En raison de l’inertie propre aux dynamiques de population disent les démographes, une politique de limitation des naissances produit ses premiers résultats au meilleur des cas dans 15 ans, plus souvent dans une génération. II est donc urgent pour le gouvernement d’engager une telle politique et d’autant plus aisé pour tous de la soutenir qu’il n’y a aucun bénéfice électoral à court terme en jeu.

S’agissant des dividendes, la première et la plus évidente c’est bien sûr une hausse plus rapide du revenu par tête. Considérons le scénario sans doute excessivement optimiste que le Niger retrouve et maintienne sa performance exceptionnelle de 2012 d’une croissance économique de 11,10%. Avec une population stable à son niveau actuel, le PIB/T doublerait en moins de 7 ans. Au rythme de 3,9% de croissance démographique, il va falloir attendre presque 10 ans pour atteindre le même niveau de revenu, mais seulement 8, si l’on parvient à contenir notre croissance démographique à 2%/an ! Un doublement tous les 8 ans fera passer le PIB/T à plus de 2200$ en une génération (25 ans) contre environ 250$/T en 2012, en $ constant de 2000. Ce serait un véritable « Game change » car iI y aurait alors beaucoup plus de ressources disponibles pour les familles elles mêmes de moins en moins nombreuses. La dépense publique par tête va elle aussi augmenter, toutes choses égales par ailleurs, ce qui signifie davantage de maîtres dans les classes et moins d’enfants par classe, et par suite une éducation de meilleure qualité. Le système de santé disposera de ressources accrues pour la santé et la nutrition résultant dans une baisse la mortalité infantile, d’autant plus probable que les mères sont moins surchargées et que la mortalité maternelle baisserait elle aussi. L’espérance de vie augmentera et le statut de la femme s’améliorera. Tout ça ressemble à s’y méprendre au....développement humain. L’IDH n’est donc pas totalement inutile.

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[1] <#_ftnref1> Les données sont celles de Wikipédia consulté le 13 Août 2014.

[2] <#_ftnref2> Marie Ladier-Fouladi . “L’arme démographique de l’Iran. Du contrôle des naissances à une politique populationnise” dans Orient XXI sur http://orientxxi.info/magazine/l-arme-demographique-de-l-iran,0528, consulté le 12 Août 2014.

[3] <#_ftnref3> II suffit pour s’en convaincre d’appliquer au Niger, en le détournant quelque peu, une forme rudimentaire de l’équation dite d’Ehrich et Holdren que les écologistes utilisaient pour évaluer l’Impact écologique (I) en combinant la Population (P), l’Abondance de la consommation (A) et la Technologie (T) selon I= A.P.T.

[4] <#_ftnref4> Au Niger la mortalité des moins de cinq ans a baissé de 326 pour mille naissances vivantes en 1990 à 174 en 2012. Le taux d’accroissement de la population est passée lui de 3,3% pour la période 1988-2001 à 3,9% pour la période 2001-2012, ce qui est une hausse significative. Cf http://www.unicef.org/french/infobycountry/niger_statistics.html, consukté le 13 Août 2014.